Compte tenu de la fréquence des troubles du sommeil, il paraît important de rappeler quels sont les troubles du sommeil qui nécessitent une prise en charge spécialisée et notamment de définir la place de la polysomnographie.
De par la nature du sommeil (état du système nerveux), la médecine du sommeil ou somnologie fait partie des neurosciences cliniques. Il s’agit d’une sur-spécialisation médicale de nature transdisciplinaire (figure 4), nécessitant des compétences bien définies tant au niveau européen qu’au niveau national. Depuis l’entrée en vigueur de la convention INAMI de 2018, une formation spécialisée en médecine du sommeil répondant aux recommandations internationales est devenue indispensable pour avoir une activité clinique accréditée au sein d’un laboratoire du sommeil en Belgique. Les praticiens de médecine du sommeil (‘somnologues’) hospitalière et ambulatoire sont souvent assistés par des (neuro-)psychologues et du personnel paramédical et technique aux compétences spécifiques permettant une pratique optimale de la médecine du sommeil (kinésithérapeutes, infirmiers, techniciens et ingénieurs). Dans d’autres pays de l’Union Européenne, en Australie et aux Etats-Unis, la somnologie est reconnue comme spécialisation (« board certification ») à part entière. De plus, vu que la classification internationale des troubles du sommeil (« International Classification of Sleep Disorders third edition, ICSD-3 ») comprend actuellement plus de 85 pathologies (parmi lesquelles on trouve les insomnies, les troubles respiratoires liés au sommeil, les hypersomnies d’origine centrale, les troubles du rythme circadien du sommeil, les parasomnies, les mouvements en relation avec le sommeil, les symptômes isolés et d’autres troubles du sommeil), il apparaît comme indispensable qu’au sein des centres de sommeil, les équipes soignantes soient formées de manière complète, tant sur le plan médical que paramédical afin de garantir une prise en charge adéquate de l’entièreté de ces pathologies variées.
Quelle place pour la polysomnographie?
Compte tenu de la fréquence des troubles du sommeil, il paraît important de rappeler quels sont les troubles du sommeil qui nécessitent une prise en charge spécialisée et notamment de définir la place de la polysomnographie.
En principe toute plainte de somnolence diurne excessive (difficultés à maintenir l’éveil dans des situations avec peu de stimulation sensorielle et/ou assoupissements irrépressibles) non expliquée par un ‘manque quantitatif’ de sommeil (privation/restriction partielle) ou un tableau clinique métabolique, immunologique ou iatrogène clair est une indication a priori (voir table 1) pour une investigation polysomnographique (ambulatoire ou hospitalière). Aussi étonnant que cela puisse paraître, les plaintes de fatigue (manque d’énergie, épuisement mental et/ou physique), même si elles sont associées à des ‘sensations de sommeil non-récupérateur’ ne sont par contre pas forcément des bonnes indications pour une PSG.
Dans des situations d’épuisement sévère (burn-out, dépression, maladies systémiques…) des biais de perception intrinsèques peuvent donner lieu à des sensations de non-récupération qui sont fréquemment non imputables stricto sensu à une dyssomnie identifiable objectivement. Un sommeil subjectivement insatisfaisant s’inscrit ainsi malheureusement souvent comme un facteur d’entretien sans lien étiologique dans ces tableaux.
Cependant des cas limités d’insomnies réfractaires, atypiques et/ou particulièrement invalidants, pouvant masquer d’autres troubles primaires du sommeil (respiratoires, moteurs etc.) peuvent être des indications d’une PSG.
Toute anomalie comportementale liée au sommeil (vociférations, mouvements ou activités motrices anormales) est également a priori (voir table 1) une indication de PSG avec vidéographie infra-rouge afin d’exclure des troubles nécessitant une mise au point additionnelle ou une stratégie neuropharmacolgique ciblée. Tout particulièrement en fonction d’atypicités cliniques, de l’âge, de la fréquence et des symptômes diurnes associés.
Tout ronflement n’est pas forcément une indication pour une PSG. Ainsi, dans certains cas une polygraphie respiratoire (de dépistage) en ambulatoire peut s’avérer utile (voir table 1). En fonction des plaintes (obstructions nasales, sinusites récurrentes) ou si la cause du ronflement n’est pas claire, un avis ORL peut s’avérer nécessaire également (voir table 1).
Par contre, des plaintes de ronflements associés à d’autres facteurs comme la somnolence diurne (voir table 1) ou à des critères morphologiques (adiposité, morphologie cervico-faciale, observation de l’anatomie de la cavité orale) ou encore associés à des facteurs de risque cardio-vasculaires comorbides, sont également des indications pour une PSG. Une évaluation clinique simple et rapide du niveau de risque d’apnées obstructives peut se faire à l’aide du questionnaire publique ‘STOP-BANG’ (acronyme de ‘Snoring, Tiredness, Observed apnea, high blood Pressure, Body mass index, Age, Neck circumference, Gender’)
Figure 1 : Organisation architecturale du sommeil : hypnogramme.
Hypnogramme résumant les stades et phases de sommeil (en ordonnée) à travers le temps en heures (en abscisse), chez un sujet adulte normal avec 5 cycles « NREM (sommeil lent) – REM (sommeil paradoxal) ».
Figure 2: Dissipation de la pression homéostatique au cours du sommeil.
Schéma de la dissipation progressive de la pression de sommeil (représentée ici par l’énergie générée au niveau des oscillations lentes à l’EEG). Pression (p°) ; énergie de l’activité à ondes lentes (« slow wave activity », SWA) en Joules [J] ; temps (T) en heures [h].
Figure 3: Le « two-process model of sleep regulation » : coexistence, interdépendance et interférence des rythmes circadiens et de la régulation homéostatique du sommeil.
Régulation homéostatique du sommeil (Processus S) et rythmes circadiens (Processus C), adapté d’après Borbely AA. A Two Process Model of Sleep Regulation. Human Neurobiol. 1982;1:195-204.
Figure 4: Modélisation du champ clinique de la médecine du sommeil.
Table 1 : Résumé des indications de la polysomnographie.
Plaintes | Evaluation clinique | Hypothèses diagnostiques | Indication de la PG | Indication de la PSG | Autres examens |
Absence de plainte | Ronchopathie isolée | SAH(O)S | + | ++ | Avis ORL |
Signes évocateurs d’apnéesi | ++ | +++ | – | ||
Somnolence | |||||
Besoins de sommeil non assurés | Mauvaise hygiène veille-sommeil | – | – | – | |
Instabilité des rythmes veille-sommeil | Troubles du rythme circadien | – | – | Actimétrie | |
Besoins de sommeil accrus/Signes de dysrégulation du SPii | Hypersomnie centrale | – | +++ | TILEs | |
Mouvements de jambespendant le sommeil | MPJ (micro-) éveillants(+/- SJSR) | – | +++ | – | |
Fatigue /Sommeil non récupérateur | |||||
Absence de trouble du sommeil | Trouble iatrogène, psychiatrique ou somatique chroniqueiii | – | – | – | |
Troubles de l’endormissement/maintien du sommeil | SJSR/Insomnie primaire ou comorbideiiii | – | + | – | |
Troubles du comportementnocturne | Chutes/Blessures/Eveils confusionnels | Parasomnie du SL avec complications ou TCSP | – | +++(vidéo) | – |
Epilepsie | EEG de veille |
Niveaux de pertinence et de valeur diagnostique : absent (-), léger (+), moyen (++) et élevé (+++).
Abréviations : PG = polygraphie ventilatoire ; PSG = polysomnographie ; SAH(O)S) = syndrome d’apnées-hypopnées (obstructives) du sommeil ; SL = sommeil lent ; SP = sommeil paradoxal ; SJSR = syndrome des jambes sans repos ou « restless leg syndrom » (RLS) ; MPJ = mouvements/myoclonies périodiques des membres ou « periodic limb movements during sleep » (PLMS) ; TILEs = tests itératifs des latences d’endormissement ou « multiple sleep latency tests » (MSLTs) ; TCSP = trouble du comportement pendant le sommeil paradoxal ou « REM behaviour disorder » (RBD) ; EEG = électroencéphalogramme.
i Signes évocateurs d’apnées : suffocations nocturnes, nycturie, réveils nocturnes, sécheresse buccale, céphalées matinales, sommeil non récupérateur…
ii Signes de dysrégulation du SP : hallucinations hypnagogiques ou hypnopompiques, paralysies du sommeil, cataplexies.
iii Troubles psychiatriques comme les troubles de l’humeur, les troubles anxieux, les troubles de l’adaptation ou les troubles psychotiques ; maladies somatiques chroniques comme les insuffisances respiratoires ou cardiaques chroniques, les néoplasies, les maladies dysimmunitaires …
iiii Insomnie comorbide associée à une pathologie médicale, psychiatrique ou neurologique.
Prof. Dr. Daniel Neu (MD, MHsc, PhD)
Chef de service du Centre de Sommeil – CHIREC site Delta
Enseignant à la Faculté de Médecine de l’ULB et Consultant au CHU Brugmann
Les consultations spécialisées en trouble du sommeil sont proposées sur l’ensemble des sites hospitaliers et centres médicaux du Chirec. Trois laboratoires du sommeil sont disponibles sur les sites de Delta, de Ste-Anne St-Remi et Braine-l’Alleud. Le centre réunit des spécialistes en ORL, pneumologie, médecine interne, neurologie et psychothérapie, afin d’optimaliser le diagnostic et le traitement des divers troubles du sommeil.