Le prix belge le plus prestigieux a récompensé les Professeurs Denis Franchimont (ULB) et Edouard Louis (CHU Liège) pour leurs recherches de pointe sur la maladie de Crohn et la rectocolite ulcéro-hémorragique.
Le Professeur Denis Franchimont, aussi gastroentérologue au CHIREC (HBW) est très impliqué dans la prise en charge des maladies inflammatoires du tube digestif mais aussi dans le dépistage endoscopique et génétique de cancer du colon et enfin en oncologie digestive.
Il nous explique les 20 ans de recherche qui leur ont valu le prix Inbev-Baillet Latour 2014.
Les maladies inflammatoires chroniques de l’intestin (MICI) consistent en 2 maladies : la maladie de Crohn (MC) et la rectocolite ulcéro-hémorragique (RCUH). Il s’agit de maladies complexes, multifactorilelles polygéniques, de l’adulte jeune associées à une morbidité significative, et à une nette dégradation de la qualité de vie tout au long de l’existence. Nos recherches depuis 20 ans portent sur la compréhension de la génétique et l’immunologie de ces maladies, leur histoire naturelle, sur l’optimisation des stratégies de traitement et la recherche de nouvelles cibles pharmacologiques. L’objectif final de cet effort est toujours l’amélioration de la compréhension des ces maladies pour optimaliser leur prise en charge.
Contribution à l’étude de la génétique des MICI.
Notre recherche sur le système immunitaire intestinal et plus spécifiquement sur les gènes de prédisposition au MICI a commencé durant nos séjours à l’étranger au Welcome Trust (EL) en 1994 et au National Institutes of Health (DF) en 1997. Nous avons dans un premiers temps travaillé sur des gènes candidats (TNFa, IL-1RA) et n’avons pu montrer d’association formelle avec ces maladies. Nous avons dans la foulée contribué à l’une des premières études de liaison sur le génome entier dans les MICI. Cette étude nous a permis de mettre en évidence le deuxième loci associé au MICI (appelé à l’époque IBD2 et situé sur le chromosome 12). En 1996, nous avons poursuivi nos recherches sur l’influence de variants dans le gène du TNF sur le profil clinique de la MC. Au début des années 2000, nous avons développé une collaboration avec Michel Georges (faculté de médecine vétérinaire, ULg), ayant pour but l’étude de l’architecture génétique complexe des MICI. Nous avons tout d’abord étudié en profondeur le locus de prédisposition aux MICI IBD4 sur le chromosome 14, mais n’avons pas pu identifier de marqueur génétique formellement associé à ces maladies dans ce locus. En 2006, nous avons alors eu l’opportunité de réaliser à Liège et avec la collaboration du génopôle d’Evry et d’autres centres Belges (KUL, UGent et Erasme, ULB) dans le domaine des MICI, une des premières études d’association génome entier (GWAS) dans les MICI. Ce travail nous a permis d’identifier une série de variants associés à la MC sur le chromosome 5. Ces variants se trouvent dans un désert génétique mais pourraient intervenir dans la régulation de l’expression du gène PTGER4 codant pour le récepteur EP4 des prostaglandines. L’association de ces variants génétiques avec la MC a depuis lors été largement confirmée. La réalisation de cette étude relativement pionnière nous a permis d’être parmi les premiers membres d’un consortium international d’étude de la génétique des MICI, en collaboration avec le NIDDK aux Etats-Unis et le Welcome Trust au Royaume Unis. Ce consortium international a depuis poursuivi ses travaux et nous avons ainsi pu contribuer à l’identification de plus de 150 loci ou gènes de prédispositions dans la MC et la RCUH. Ces travaux ont permis d’avancer de façon considérable dans la compréhension de l’architecture génétique de ces maladies et ont en particulier mis en évidence le partage de prédispositions génétiques d’une part avec d’autres maladies immuno-inflammatoires chroniques et d’autre part avec des maladies infectieuses comme des mycobactérioses. Nos travaux se poursuivent actuellement plus particulièrement par la tentative de la caractérisation de la signification fonctionnelle des variants génétiques associés aux MICI. En parallèle, dans la foulée de la découverte en 2001 de NOD2 (IBD1), premier gène de prédisposition à la maladie de Crohn et qui s’est avéré être un récepteur de reconnaissance de produit bactérien, nous nous sommes intéressés à d’autres gènes impliqués dans l’immunité innée dont Toll like recepteur (TLR)- 4 dont nous avons pu répliquer l’association avec la maladie de Crohn dans une méta-analyse multicentrique, mais qui ne fut pas confirmée par les études GWAS. Par une approche de gène candidat sur 4 cohortes de patients indépendantes belges et canadiennes, nous avons pu démontrer qu’un autre gène de la famille des protéines NODs, NLRP3 (Chr. 1q44) était un gène de susceptibilité pour la maladie de Crohn. NLRP3 encode pour la protéine cryopyrine, récepteur du même produit bactérien que NOD2, le MDP, qui supervise l’inflammasome, une plateforme moléculaire importante dans le contrôle de l’inflammation et de la fièvre. En outre, NLRP3 était également le gène causal pour 3 maladies auto-inflammatoires (MAI) ou fièvres périodiques familiales, tout comme NOD2 s’était avéré être aussi le gène de susceptibilité d’une MAI, le syndrome de Blau. Ces observations suggéraient qu’un même gène pouvait coder pour une maladie très rare par un de ses domaines, mais aussi coder pour des maladies plus communes sur un autre de ses domaines. Nous réalisons à ce titre au sein du consortium international une évaluation de l’ensemble des gènes (plus de 30 gènes) codant pour des maladies monogéniques héréditaires rares dont l’expression clinique est phénotypiquement identique à la MC, comme gènes de susceptibilité de la MC ; en d’autres termes à la reherche de variants rares associés à la MC (Cette recherche est financée par un PAI fédéral 2012-2017 entre KUL, UGent, ULG et ULB). Nous débutons également une étude visant à caractériser les mécanismes génomiques à l’origine du cancer du colon dans la maladie de Crohn et la rectocolite ulécrohémorragique.
Contribution à la compréhension de l’histoire naturelle de la MC et de la réponse aux traitements.
L‘évolution chronique des MICI aboutit à un dommage tissulaire, conduisant lui-même à une perte de fonction intestinale. Cette évolution clinique est variable d’un patient à l’autre. Afin d’optimiser les stratégies thérapeutiques, il est important de disposer de facteurs prédictifs de l’évolution clinique et de la réponse aux traitements. Nous avons ainsi initialement contribué à la caractérisation des facteurs prédictifs d’une MC cortico-dépendante. Au début des années 2000, nous avons caractérisé l’évolution clinique de la MC sur une large cohorte de patients et avons défini différents profils évolutifs et notamment une propension variable à développer des complications sténosantes (rétrécissements liés à la fibrose) et fistulisantes (lésions transmurales fissuraires) de la maladie. Nous avons ensuite établi des prédicteurs cliniques et biologiques de l’évolution vers ces profils et vers leurs conséquences chirurgicales (résections). Au milieu des années 2000, nous nous sommes intéressés aux facteurs cliniques, biologiques et génétiques (pharmacogénétique) de réponse aux anti-TNF dans la MC. Nous avons mis en évidence une réponse plus favorable à l’infliximab en cas de localisation colique de la maladie et en cas d’élévation du syndrôme inflammatoire (CRP). Ces résultats ont depuis lors été confirmés largement et sont utilisés en pratique clinique de routine.
Si l’identification de prédicteurs cliniques ou biologiques de formes graves des MICI doit aider à la mise en route précoce de traitements intensifs, chez des malades stabilisés l’évaluation du rapport bénéfice/risque et cout/bénéfice du traitement devrait permettre dans certaines situations une régression thérapeutique. C’est dans ce contexte que nous avons eu l’opportunité de 2005 à 2010 de conduire une étude multicentrique internationale prospective d’arrêt des anti-TNF dans la MC. Cette étude nous a permis de montrer que l’arrêt thérapeutique n’était envisageable que chez une minorité de patients et que ceux-ci se caractérisaient non seulement par une rémission clinique stable, mais aussi par une rémission endoscopique et biologique de leur maladie. Nos travaux dans ce domaine se poursuivent notamment par la mise sur pieds d’une large étude multicentrique internationale visant à comparer différentes stratégies de régressions thérapeutiques chez des patients ayant atteint un stade de rémission profonde de la MC sous anti-TNF. Nous nous sommes également intéressés à des mesures thérapeutiques plus préventives afin d’éviter le développement de la MC. Dans cet esprit, nous avons pu conduire une étude clinique sur près de 80 patients avec MC évaluant l’efficacité de probiotiques dans la prévention de la récidive de MC iléale après chirurgie « curative ». Cette situation clinique est un modèle de prévention de la MC. Même si cette étude fut négative, elle soulignait la nécessité d’une meilleure compréhension de la flore microbienne afin de développer de nouveaux probiotiques ou peptides agonistes/antagonistes bactériens comme agents prophylactiques.
Développement de nouvelles cibles pharmaceutiques dans les MICI
Le développement de nouvelles statégies centrées sur l’énumération d’une ‘short list’ de gènes/cibles pharmacologiques essentiels à l’éfficacité thérapeutique des immunosuppresseurs peut accélérer le développement pharmaceutique de nouvelles molécules. Les corticostéroïdes représentent un très bon modèle d’immunosuppression pour le design de ces nouvelles molécules. Ceci nous a amené à étudier leur profile d’action génomique grâce à la technologie des microarrays. Cette vision panoramique de l’action génomique des corticostéroïdes a révélé l’effet sélectif des corticostéroïdes sur de nouveaux gènes. Parmi ceux-ci, CD47, une molécule d’adhésion, était un des gènes les plus inhibés par les corticostéroïdes et pouvait représenter une nouvelle cible pharmaceutique. Les souris knock-out pour CD47 (délétion génétique pour CD47), ne pouvaient développer une MC expérimentale contrairement aux souris sauvages. Nous avons alors, dans une phase pré-clinique, démontré l’efficacité thérapeutique d’une molécule de fusion CD47 (bloquant la signalisation de CD47) sur des souris souffrant de maladie de Crohn expérimentale. Ces études viennent confirmer que la pharmacogénomique comparative d’agents thérapeutiques conventionnels permet le design de nouvelles thérapies ciblées.