La migraine est une affection génétique fréquente et invalidante dont la prévalence moyenne varie entre 5 à 10 %. Les répercussions affectives, familiales, sociales et scolaires peuvent être considérables. La démarche diagnostique est fondamentalement clinique. Elle repose d’abord sur une anamnèse extensive auprès de l’enfant et de son entourage.
L’ examen physique général et la prise de tension artérielle complètent l’anamnèse
Un examen neurologique normal, associé à la présence des critères diagnostiques IHS, et conforté par l’existence d’antécédents familiaux suffit en général à poser le diagnostic de migraine.
La demande d’examens complémentaires est recommandée chez les enfants en dessous de 5 ans, en cas de symptômes orientant vers une hypertension intracrânienne ou si l’examen neurologique est anormal.
CLASSIFICATION
Une classification simple des principales causes de céphalées peut être proposée comme suit. Elle est fondée sur leur mode d’apparition, leur évolution et leur caractère récidivant ou non.
1. Céphalées aiguës épisodiques
- Fièvre élevée d’origine diverse (pathologies des voies aériennes supérieures…)
- Méningite, encéphalite
- Hémorragie méningée
- Accident vasculaire cérébral
- Traumatisme
- Intoxication (CO, dissolvant…)
2. Céphalées aiguës récurrentes
- Migraine
- Hypertension artérielle
- Poussées de sinusite
- Algies dentaires ou ophtalmiques, otite
- Névralgie
- Algies vasculaires de la face (ou cluster headache)
- Épilepsie occipitale…
3. Céphalées chroniques progressives
- Hypertension intracrânienne (hydrocéphalie, tumeurs cérébrales, abcès, hématome sous-dural…)
- Hypertension intracrânienne idiopathique (bénigne ou pseudotumor cerebri)
- Hypotension intracrânienne
- Dysfonctionnement d’un drain de dérivation
- Pathologie infiltrante de la base du crâne (histiocytose…)
- Thrombose de sinus veineux…
Nous voyons donc que la migraine pédiatrique se différencie essentiellement de l’adulte par une durée plus courte (1 heure au minimum) et une localisation bilatérale.
4. Céphalées chroniques non progressives
- Céphalées d’accompagnement post commotionnelles persistantes
- Anomalies de la charnière crânio-vertébrale
- Abus de médicaments (paracétamol…)
- Troubles ophtalmiques (de réfraction, de convergence…)
- Céphalées de type tension (psychogènes) : fréquentes chez l’enfant et souvent liées à un stress d’origine familial ou scolaire
- Tableaux mixtes possibles (= migraine + céphalées de tension)…
En contexte aigu : la céphalée le plus fréquente est celle d’origine infectieuse.
Un enfant fébrile « malade » aura souvent tendance à se plaindre de la tête, quelle que soit l’origine de la fièvre (rhume, otite, …) Le traitement de l’infection causale et la diminution de la pyrexie vont permettre une disparition de la céphalée.
Dans le contexte de céphalée aigue de novo, il conviendra d’éliminer les urgences suivantes : méningite, hémorragie cérébrale, processus tumoral.
Quand s’inquiéter ? Les symptômes d’Hypertension Intra-crânienne (HTIC) suivants doivent alerter :
– Céphalées intenses matinales ou vespérales, vomissements en jet, altération de l’état de conscience, crises épileptiques associées, examen neurologique anormal.
– Une paralysie du VI est un symptôme cardinal de l’HTIC mais n’a pas de valeur localisatrice.
Devant un tableau d’HTIC, il conviendra de rechercher l’origine (secondaire) ou primaire (ou Pseudotumor cerebri = PTC)
L’imagerie cérébrale (CT en urgence et/ou IRM) permettra de préciser le type de lésion.
HTIC + imagerie cérébrale normale = Pseudotumor cerebri jusqu’à preuve du contraire et doit faire réaliser un fond d’œil puis une ponction lombaire avec mesure de la pression d’ouverture du LCR.
Les situations particulières devant conduire à réaliser une imagerie cérébrale (IRM) sont :
– Des céphalées chez un enfant de moins de 5 ans
– Une céphalée récente (de moins de 6 mois), d’intensité croissante et ne répondant pas aux traitements antalgiques habituels ;
– Une majoration de la céphalée provoquée par certaines positions de la tête (suggérant une malformation de Chiari type 1) ou du corps (céphalées orthostatiques de l’hypotension intracrânienne…)
– Un torticolis (dans les tumeurs de la moelle et de la fosse postérieure…)
– Des signes suggérant une hypertension intracrânienne : céphalées réveillant l’enfant ou d’apparition matinale, augmentation de l’intensité des céphalées, majoration des céphalées par des manœuvres augmentant la pression veineuse (toux, Valsalva…)
– Des signes neurologiques anormaux : confusion, somnolence, une atteinte des nerfs oculomoteurs, (notamment le nerf VI)
– Un œdème papillaire au fond d’œil
– Des signes d’accompagnement (température, cassure de la courbe de croissance, perte de poids, apparition de polyurie/polydipsie, syndrome diencéphalique, anomalies endocriniennes, fatigue, changement de la personnalité,
– Une altération des performances scolaires doit également inquiéter.
DIAGNOSTIC
La nouvelle classification de l’International Headache Society (2004) a permis d’intégrer certaines particularités pédiatriques.
1. La migraine sans aura (retrouvée dans 70-80 % des cas) est définie par:
A- La survenue d’au moins 5 épisodes de céphalées présentant les caractéristiques suivantes:
B- Durée variant entre 1 à 72 heures
C- Présence d’au moins 2 des 4 critères suivants:
1-Localisation bilatérale ou unilatérale (frontale/temporale)
2-Caractère pulsatile
3-Intensité modérée à sévère
4-Aggravation par les activités physiques
D- Présence d’au moins un des critères associés suivants:
1. Nausées et/ou vomissements
2. Photophobie et/ou phonophobie
E- Autres pathologies organiques exclues
Nous voyons donc que la migraine pédiatrique se différencie essentiellement de l’adulte par une durée plus courte (1 heure au minimum) et une localisation bilatérale.
2. La migraine avec aura:
Est définie par les critères précédents accompagnés par un phénomène visuel, sensitif ou un trouble du langage. Cette aura précède souvent, accompagne ou succède à la douleur céphalique. Leur durée varie généralement entre 5 et 60 minutes.
La migraine avec aura est définie par:
A- La survenue d’au moins 2 épisodes de céphalées présentant les caractéristiques suivantes:
B- Aura comprenant au moins un des symptômes suivants:
1- Symptômes visuels réversibles (taches brillantes, lignes brisées…)
2-Symptômes sensitifs réversibles (paresthésies, engourdissement)
3- Trouble du langage réversible
C- Au moins 2 des symptômes suivants:
1- Troubles visuels homonymes ou symptômes sensitifs unilatéraux
2- Progression lente de l’aura et durée variant entre 5 et 60 minutes
D- A l’exclusion d’autres pathologies
CLASSIFICATION
1- Migraine avec aura
1-2. Aura typique avec céphalées migraineuses
1-3. Aura typique avec céphalée non migraineuse
1-4. Aura typique sans céphalée
1-5. Migraine basilaire
1-6. Migraine hémiplégique familiale
1-7. Migraine hémiplégique sporadique
2-Equivalents migraineux ou syndromes précurseurs de migraine: seront détaillés ci-dessous
– Migraine abdominale
– Vertiges paroxystiques bénins
– Torticolis bénin paroxystique
– Syndrome des vomissements cycliques
3-Migraine rétinienne
4-Complications de la migraine
– Migraine chronique
– Etat de mal migraineux
– Aura prolongée sans infarctus
– Infarctus migraineux
PARTICULARITES PEDIATRIQUES
Les syndromes précurseurs de migraine ou « équivalents » migraineux: reconnus par la classification IHS 2004:
De quoi s’agit-il ? Manifestations « sans céphalée » récurrentes et souvent stéréotypées survenant généralement durant l’enfance et précédant de plusieurs années l’apparition de céphalées migraineuses. Importantes à repérer, leurs manifestations cliniques sont souvent déroutantes et spectaculaires.
Un traitement de fond approprié permet d’en réduire la fréquence et l’intensité.
Il existe 4 types d’équivalents migraineux
1. La migraine abdominale
Les critères diagnostiques sont les suivants :
- Crises durant de 1 à 72 heures
- Intensité modérée ou sévère
- Localisation médiane ou péri ombilicale.
Possédant deux des quatre caractéristiques suivantes :
- Pâleur
- Perte d’appétit
- Vomissements
- Nausées.
Examen intercritique normal. A l’exclusion d’autres pathologies, notamment digestives ou métaboliques.
2. Syndrome des vomissements cycliques
Définition: épisodes récurrents, souvent stéréotypés, de vomissements et nausées intenses. Pâleur et léthargie sont souvent associées. Entre les crises, l’examen est normal et l’enfant est asymptomatique.
Critères diagnostiques:
A- Au moins 5 crises comportant les critères B et C
B- Crises récurrentes, stéréotypées de nausées intenses et vomissements durant 1 heure à 5 jours.
C- Répétition des vomissements au moins 4/heure durant au moins 1 heure
D- Enfant asymptomatique entre les crises
E- A l’ exclusion d’autres pathologies notamment gastro-intestinales.
3. Vertige paroxystique bénin
- Accès aigus de vertiges sévères avec déséquilibre et ataxie durant quelques minutes à quelques heures avec résolution spontanée.
Un nystagmus, nausées et une pâleur peuvent être associés. - Examen intercritique normal.E-555
4. Torticolis bénin paroxystique
Episodes de Torticolis aigus survenant habituellement chez un nourrisson durant les premiers mois de vie. Chaque épisode durant quelques heures à quelques jours.
Symptômes associés : vomissements, transpiration, pâleur, irritabilité, maux de tête et démarche instable.
Régression habituelle vers l’âge de 5 ans
Evolution possible vers d’autres équivalents migraineux et vers une maladie migraineuse.
DIAGNOSTIC DIFFERENTIEL :
En contexte chronique : il s’agit de la céphalée de tension.
Souvent rattachée à un stress (scolaire, familial), elle se présentera chez l’enfant sur un mode souvent quotidien avec une localisation plutôt holocrânienne voire occipitale, une absence de pulsatilité et une intensité nettement plus « supportable » que dans la migraine. En particulier, l’on n’observera pas de symptômes de la lignée « migrainoide » tels que nausées, vomissements, photophobie, phonophobie ou pâleur du visage.
Quelle est la place réservée aux examens complémentaires ?
1-Les indications de l’imagerie cérébrale ont déjà été abordées (cf. supra). Lors de la réalisation d’une IRM cérébrale, des séquences angiographiques veineuses ou artérielles peuvent être nécessaires notamment en cas de suspicion de thrombose des sinus veineux.
2- Un avis ophtalmologique incluant un Fond d’œil sera réalisé en cas de suspicion d’hypertension intracrânienne « secondaire » ou « non tumorale » (c’est le pseudotumor cerebri)
PRISE EN CHARGE DE LA MIGRAINE
Une fois le diagnostic posé et les éventuels facteurs favorisants analysés, il s’agira alors dans un entretien incluant l’enfant de:
1- Rassurer: c’est la première étape du traitement. Il faut expliquer qu’il s’agit d’une affection bénigne mais potentiellement invalidante.
2- Expliquer avec des mots simples et appropriés qu’il s’agit d’une affection génétique et non pas un trouble psychologique, une simulation, une « crise de foie ». Ne pas banaliser la souffrance de l’enfant.
3- Il ne s’agit pas d’une fatalité et des traitements existent permettant souvent un soulagement rapide et si nécessaire pouvant réduire l’intensité et la fréquence de crises trop rapprochées et sévères.
L’objectif général vise à améliorer la qualité de vie par le traitement efficace des crises migraineuses (on veillera à administrer les antalgiques à doses efficaces et rapidement) et la réduction tant de la fréquence que de la sévérité des crises migraineuses.
Les mesures préventives sont essentielles et visent d’abord à améliorer l’hygiène de vie (sommeil à heures régulières, éviter les sauts de repas, identifier d’éventuels facteurs favorisants: stress, aliments,..)
Quels sont les traitements à la phase aigüe ?
Les rares ayant évalué l’efficacité des traitements antimigraineux chez l’enfant concluent au bénéfice de 2 molécules de 1° ligne : ibuprofène et paracétamol.
Principes généraux: traiter précocement et avec des doses correctes.
Le traitement devra être disponible et autorisé dans le milieu scolaire.
1° intention: Ibuprofène 7,5 à 10 mg/kg (3 doses quotidiennes si nécessaire)
2° intention: Paracétamol 15 mg/kg (4 doses quotidiennes si nécessaire)
Ces traitements sont efficaces avec bon un profil de sécurité
Nous recommandons souvent d’alterner ces deux médications si nécessaire toutes les 3-4 heures.
En effet, ceci permet d’éviter un abus du même antalgique et d’autre part, certains enfants réagissent mieux à tel antidouleur plutôt qu’à l’autre.
Chez l’adolescent > 12 ans: les triptans peuvent être utilisés en cas de crise migraineuse réfractaire à l’ibuprofène ou au paracétamol. Différentes molécules existent : sumatriptan, zolmitriptan, naratriptan, élétriptan, rizapriptan…
Traitements de fond
Un traitement de fond préventif doit toujours être considéré en cas de crises trop fréquentes et/ou invalidantes. Il doit être discuté si l’enfant présente 3 à 4 crises migraineuses par mois.
Il s’agira donc de bien apprécier le retentissement de la maladie migraineuse sur le fonctionnement de l’enfant tant au niveau familial, social que scolaire.
Le traitement préventif comporte 2 volets:
1. Une prise en charge non médicamenteuse: efficacité comparable voire supérieure aux traitements médicamenteux.
Techniques: autorelaxation, biofeedback, auto-hypnose.
2. Traitements médicamenteux:
1-Flunarizine: 5-10 mg le soir
2-Propanolol: 2-4 mg/kg/jour
3- Topiramate: 50-100 mg/jour
Autres : acide valproïque, riboflavine,…
Effets secondaires et précautions:
Flunarizine: somnolence, prise de poids, risque de syndrome extra-pyramidal Propanolol: risque d’hypotension. Contrindiqué en cas de diabète et d’asthme. Topiramate: perte de poids liée à l’effet anorexigène.
Durée du traitement préventif est variable, 6 à 12 mois.
En cas de rechute, un traitement plus long peut être indiqué.
CONCLUSIONS
La migraine pédiatrique est une réalité à ne pas méconnaitre. Comme chez l’adulte, il s’agit d’une affection fréquente et souvent invalidante. Elle demeure actuellement encore peu reconnue en raison d’erreurs diagnostiques à l’origine de doutes (simulation de l’enfant?) ou d’une confusion avec d’autres pathologies notamment ORL (sinusite) ou ophtalmologiques.
Ceci entraîne un retard à la prise en charge qui est préjudiciable à l’enfant.
Pourtant, son diagnostic est relativement simple, essentiellement basée sur une approche clinique ou l’écoute de l’enfant et l’anamnèse auprès des parents sont essentielles.
Il est donc fondamental qu’un enfant céphalalgique puisse être reconnu dans la réalité de ses plaintes.
Des mesures préventives simples sont utiles telles que protection de l’enfant contre la luminosité, la chaleur, ainsi que le respect d’une bonne hygiène au niveau du sommeil et de l’alimentation.
Les traitements actuels permettent généralement une prise en charge efficace des symptômes et nouveaux essais thérapeutiques pourraient permettre d’élargir l’arsenal thérapeutique existant notamment chez les enfants les plus jeunes.
Dr Tayeb Sekhara
Référent Neuropédiatrique- CHIREC