C’est au retour des vacances de Carnaval que nous nous sommes dit, au service d’Oncologie de Braine-l’Alleud, que ce Covid-19 allait finalement nous frapper. Viennent ensuite les premiers cas et la souffrance de l’isolement pour nos patients. Le Dr Claire Wachters, chef de service d’oncologie à l’hôpital de Braine-l’Alleud, se souvient…
«Nous recevions des coups de fils de nos patients qui s’inquiétaient du fait d’avoir des proches qui auraient pu être contaminés, qui avait été en voyage dans le nord de l’Italie, dans une station de sports d’hiver où l’épidémie s’était signalée. Mais on ne mesurait pas encore l’ampleur que cela allait prendre», se souvient le docteur Claire Wachters. «En parallèle, nos infectiologues nous informaient au fur et à mesure de la situation et nous avons rapidement compris que les choses allaient se compliquer .»
L’alerte est venue de l’Italie
Car la plupart des patients du service sont à risque à cause d’une immunité très sollicitée par la maladie et les traitements en cours. A l’époque, on ne sait pas encore ce que montrera une étude du Lancet fin mai, que le taux de décès ou de maladies aigües grimperont à 13% et 26% des patients oncologiques, trois semaines seulement après leur infection par le Covid.«Mais on pressentait la menace. Les oncologues ont une longue tradition d’échanges entre médecins des différents pays. Car certaines formes de cancer sont très rares et certaines combinaisons de médicaments ne sont pas disponibles partout. On se renseigne donc souvent entre collègues. Ici, les collègues italiens et de l’Est de la France nous ont avertis, ce qui a permis de prendre rapidement des mesures dans nos services. Beaucoup de patients étaient inquiets: devaient-ils quand même commencer un traitement, au risque d’être affaiblis pendant des semaines, au moment où le virus risquait de s’étendre, devaient-ils prendre le risque d’aller à l’hôpital, au cœur de la maladie, devait-il se mettre en quarantaine de ce fils revenu du ski, sans symptômes mais avec un nez qui coule quand même ? Toutes les décisions étaient individuelles, mais on a tenté de les rassurés afin qu’ils puissent être traité de manière adéquate en prenant le moins de risque possible.»
On a ausculté par whatsapp
Puis, le 14 mars 2020, les hôpitaux mettent en route le plan d’urgence hospitalier. Report des opérations non urgentes, suspension des consultations, dépistage aux entrées. «Notre chance est d’avoir un service isolé des autres et nos patients entraient donc à l’hôpital par une voie spécifique. Nous avons maintenu certaines consultations qui ne pouvaient pas être annulées. Nous avons passé des dizaines d’heures au téléphone pour évaluer la situation de chacun. Certains pouvaient postposer leur visite annuelle de quelques semaines sans souci, mais d’autres devaient entamer leur chimio sans tarder. Certains pouvaient renoncer à une chimio, comme lors d’un traitement de sécurité après une opération chirurgicale, mais c’était vraiment une minorité, la plupart devaient impérativement suivre leur traitement. On a travaillé avec des photos, avec des images par whatsapp, pour évaluer si les boutons observés étaient en lien avec un traitement, ou pas. Ce ne sont pas des conditions idéales pour évaluer un patient cancéreux ni pour le soutenir. Devoir se passer du contact physique tant sur le plan diagnostique qu’humain est très difficile!»
A l’accueil, un sas est aménagé: anamnèse faite par une infirmière. Présence de toux, de température,… En cas de doute, le médecin vient voir le patient et l’examine. «En effet, la gorge sèche, une perte du goût ou de l’odorat, une toux peuvent être des effets secondaires de la chimiothérapie ou lié à la pathologie du patient mais aussi au Covid, c’est parfois difficile de faire la part des choses. En cas de doute, un scanner thoracique était réalisé immédiatement et si celui-ci était positif, le patient était suivi de près. Son traitement était postposé pour en principe une quinzaine de jours, le temps de surveiller l’évolution des symptômes. « Finalement nous n’avons eu que 5 patients infectés par le Covid. Le sort a voulu que ceux-là aillent plutôt bien et n’ont pas souffert d’avoir cumulé leur cancer avec le virus. Je croise les doigts».
Un renfort d’immunité
L’équipe multiplie aussi l’emploi de pegfilgrastim. Elle renforce l’immunité et permet de mener des chimios qu’on ne se risquerait pas à suivre en cas d’absence de ce médicament. «Nous avons modifié nos schémas, adapté notre pratique à la situation en intégrant la donnée ‘Covid’ à nos discussions lors des tours multidisciplinaires. Il y a d’un côté le risque associé à la chimio dans un contexte de Covid et de l’autre la mise à distance du risque de récidive ou d’aggravation de la maladie. Surtout quand on a établi que l’infection par Covid augmentait la mortalité jusqu’à 25 % chez les malades du cancer. Nous nous sommes adaptés, au jour le jour, en fonction des informations scientifiques et des directives gouvernementales. Je porte d’ailleurs une énorme reconnaissance à mon équipe, qui s’est adaptée en permanence et qui a accepté sans broncher de changer rapidement de pratique, au fur et à mesure que les recommandations se modifiaient».
Une souffrance de l’isolement
Certes, la tenue, début janvier, le congrès de l’Asco a permis de voir se dégager quelques guidelines. Mais, sur le terrain, il faut adapter au cas par cas en fonction de l’ensemble du tableau clinique. Et puis s’adapter à la sensibilité de chacun. «Les patients souffrent énormément de l’isolement; en effet, subir un cancer et une chimio est déjà terrible, mais le faire seul, isolé de la famille et des amis, c’est très dur. Il faut une qualité d’écoute importante pour pouvoir comprendre, parfois à travers les lignes, ce que le patient souhaite, dans les situations curatives mais surtout dans les situations palliatives et de fin de vie, avec un masque, sans les proches du patient pour le soutenir et malgré tout, avec toute l’empathie nécessaire à notre discipline».
«Nous allons encore connaître des mois sombres. Parce que le dépistage s’est arrêté durant trois mois et vient seulement de recommencer. Je ne sais pas si cela provoquera une lourde aggravation de la mortalité, mais ce que nous constatons, c’est que les patients arrivent à l’hôpital plus tard, avec déjà de terribles douleurs, avec des stades avancés qu’on ne voit théoriquement plus lors de premières visites. Ce qui n’était pas urgent il y a 3 mois est devenu très urgent à traiter. C’est une des choses qui m’empêchent de dormir, c’est que tous les soignants puissent retravailler à plein régime dès que possible».
Frédéric Soumois
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